Est-ce que Bruno Le Maire a un problème avec le DPE ?

Par Nicolas Augé le 15 février 2024 à 13:43
Mis à jour le 13 mai 2024 à 10:55

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Bruno Le Maire, ministre de l'Economie et des Finances

Un vent de changement souffle sur le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) en France, avec une proposition surprenante de révision venant du ministère des Finances. Alors que Christophe Béchu a communiqué sur la correction des biais défavorables aux petites surfaces, Bruno Le Maire appelle à une révision plus profonde pour favoriser les logements chauffés à l’électricité. Actual Immo revient sur les tenants et les aboutissants de cette « affaire ». Au sommaire :

Le calcul du DPE sous les projecteurs

Le 12 février 2024, le gouvernement français annonce des ajustements dans les règles de location pour les logements notés G. Christophe Béchu met l’accent sur la correction des déséquilibres affectant les petites surfaces, répondant à de nombreuses critiques dont celles récentes des fédérations de diagnostiqueurs soulignant des remontées d’informations issues des professionnels sur le terrain évoquant des biais concernant les logements de moins de 30 mètres carrés. Les ajustements prévus pourraient bénéficier à environ 140 000 logements considérés comme des passoires énergétiques. Dans le même temps, Bruno Le Maire a pris la parole pour une révision plus radicale, critiquant la méthodologie actuelle qui favorise le chauffage au gaz et pénalise les logements électriques [source : lefigaro.fr]. Alors que la plupart des acteurs viennent tout juste de «  féliciter » le gouvernement pour ces ajustements, Bruno Le Maire demande en effet une refonte profonde de la méthodologie du DPE. Objectif : favoriser l’électricité au détriment du gaz. Cette nouvelle proposition ne toucherait bien évidemment pas la totalité des 6,6 millions de » passoires » énergétiques. Bercy a d’ailleurs communiqué sur un volume de logements touchés par cette modification :

Si nous faisons évoluer le DPE sur ce point, des centaines de milliers de logements pourraient sortir du statut de passoire thermique.

Bruno Le Maire souhaite donc je cite «  Faire évoluer le coefficient de conversion énergétique » pour lequel le gaz et le fioul ont un coefficient de conversion égale à 1 alors que l’électricité est à 2,3. Cela s’explique par le fait que pour produire (rendement des centrales nucléaires ou thermiques) et acheminer l’électricité (pertes sur le réseau) il est estimé qu’il y a une déperdition d’énergie de l’ordre de 2,3. Pour vous donner un ordre d’idée, si l’estimation était à 1,5, cela sortirait hypothétiquement 900 000 logements du statut de passoire thermique notée F. Cette proposition est néanmoins loin de faire l’unanimité et des voix s’élèvent contre cette tentative de » détricotage ».

Voir aussi  Nouvelle loi du 9 avril 2024 : la fin des logements insalubres ?

Les réactions de la Fnaim, des défenseurs de l’environnement et du Président de Coénove

Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim), n’a pas réagit aux propos de Bruno Le Maire mais évoque des « avancées » dans la révision du DPE :

C’est un ajustement technique que nous attendions puique toute la filière avait largement pointé du doigt le fait qu’on prenait dans le calcul du DPE la même consommation électrique pour réchauffer un ballon d’eau chaude pour une petite surface de 25 mètres carrés qu’un appartement de 55 mètres carrés.

Danyel Dubreuil, coordinateur « efficacité énergétique » de CLER (Réseau pour la transition énergétique), association membre de Réseau Action Climat, juge cette proposition comme une manoeuvre politique :

Les intentions de Bruno Le Maire ne sont pas de rénover les logements et de faire baisser les consommations d’énergie, mais de faire baisser artificiellement le nombre de passoires parce que ce nombre est un problème politique qui génère des obligations pour les bailleurs.

Jean-Charles Colas-Roy, Président de Coénove, Député de l’Isère et ancien administrateur de l’ADEME (Agence de la transition écologique), a réagit en appelant à plus de cohérence et de vigilance :

Ce serait une mauvaise idée de vouloir y toucher car il s’agirait d’un changement profond qui impacterait des centaines de milliers de bâtiments. Attention à ne pas sortir artificiellement un grand nombre de logements de leur statut de passoire sthermiques, en modifiant à la va-vite les règles structurantes de calculs du DPE. Bouger une nouvelle fois les grandes règles de calcul du DPE, qui intègre déjà un indicateur en consommation et un indicateur en émission de CO2, conduirait à perturber le marché là où les professionnels du bâtiment réclament stabilité et cohérence. Soyons vigilants à ne pas favoriser indûment l’effet Joule, qui n’a rien de performant et qui laisserait des ménages précaires dans les passoires thermiques aux factures énergétiques les plus lourdes.

Enfin, Capital a publié un article très intéressant où nous pouvons lire la réponse du ministère de la Transition écologique à ce sujet :

Nous ne souhaitons pas toucher à la méthodologie du DPE, et en particulier aux notions d’énergie primaire et finale. Cette question revient régulièrement mais à ce stade, il n’y a aucun projet de ce type sur la table et les modifications que nous avons apportées ne concernent pas le coefficient de conversion.

Pour aller plus loin : Les limites du Diagnostic de Performance Énergétique.

Voir aussi  L’Europe mise sur les maisons à hydrogène : une solution d’avenir ?

Un sujet pour deux ministères ?

Il y a au moins une certitude : les ajustements du DPE, notamment la correction du «  biais » pour les petites surfaces, étaient très attendus. Mais cette passe d’armes entre d’un côté Christophe Béchu et Guillaume Kasbarian, et de l’autre Bruno Le Maire est pour le moins étonnante. Bref, comme l’exprime Jean-Charles Colas-Roy, je pense que l’heure est à la stabilité et à la cohérence. Le bon sens nous rappelle que le secteur de l’immobilier n’a pas besoin d’un » détricotage » du DPE, au moins à court terme !

La vidéo sur ce sujet

Je vous invite à regarder cette vidéo :