La mairie de Paris envisage de réquisitionner les logements vacants

Par Nicolas Augé le 14 avril 2024 à 11:26
Mis à jour le 17 avril 2025 à 11:13

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Homme sans-abri dormant dehors en France

Dans la capitale française, la crise du logement s’intensifie alors que près d’un appartement sur cinq demeure inoccupé. Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la mairie de Paris, appelle à la réquisition des logements vacants en zone tendue pour répondre à cette urgence sociale. Une mesure radicale qui divise et soulève des questions sur son efficacité. Au sommaire :

La proposition controversée de la mairie de Paris

La crise du logement à Paris s’accentue, avec un nombre alarmant de logements vides. D’après LeParisien, une étude récente de l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) révèle qu’en 2020, 262 000 logements, représentant environ 19% du parc immobilier parisien, sont restés inoccupés, contre seulement 14% en 2011 [source : leparisien.fr]. Cette évolution inquiétante est en partie due à la montée des locations meublées touristiques non déclarées. Cette vacance immobilière a contribué à une diminution significative de la population parisienne, avec une perte moyenne de 11 500 habitants par an sur la période étudiée. Après vérification, il y a un élément à prendre en compte quand on regarde de plus près les chiffres de l’étude de l’Apur :

  • Les logements qui ne sont pas des résidences principales sont considérés comme inoccupés.
  • Les résidences secondaires et de logements occasionnels, représentant 10% du total à Paris, soit 134 000 logements.
  • Les logements vacants représentent 9% du total à Paris, soit 128 000 logements.

En effet, sur les 19% de logements considérés comme inoccupés, il n’y a en réalité que 9% de logements qui sont considérés comme vacants ! Rappelons que les résidences secondaires et logements occasionnels sont le principal domaine sur lequel l’action publique peut intervenir. Ce qui est sûr, c’est que la mairie de Paris se lance dans la bataille contre la crise du logement. Dans une lettre ouverte publiée ce jeudi 11 avril en partenariat avec la fondation Jean Jaurès, Emmanuel Grégoire demande que les collectivités obtiennent le pouvoir de réquisitionner les logements vacants en zone tendue. D’après lui, cette démarche vise à pallier l’insuffisance des mesures actuelles :

La crise du logement appelle à des actions résolues et innovantes. Les demi-mesures et autres « chocs d’offre » clamés comme slogan politique mais au contenu vague ne sont en rien des réponses à la crise du logement digne que nous connaissons.

Rappelons qu’il existe déjà une loi à cet effet dans le code de la construction et de l’habitation, l’article L641-1 : « Après avis du maire, le représentant de l’Etat dans le département peut procéder, par voie de réquisition, pour une durée maximale d’un an renouvelable, à la prise de possession partielle ou totale des locaux vacants, en vue de les attribuer aux personnes mentionnées à l’article L. 641-2 ». Le premier adjoint à la mairie de Paris propose donc d’ouvrir ce pouvoir aux collectivités dans les zones tendues. En outre, dans la lettre il est rappelé que le rapport annuel du mal-logement en France de la Fondation Abbé Pierre de 2024 pointe du doigt une situation du sans-abrisme et une précarité grandissante. En effet, ce n’est pas moins de 330 000 personnes qui sont sans domicile aujourd’hui, alors qu’ils étaient 141 500 en 2012 [source : insee.fr]. D’ailleurs, la Fondation Abbé Pierre n’a eu de cesse d’alerter face à l’effondrement de l’effort public en faveur du logement. Enfin, il faut savoir que ce genre de proposition n’est pas nouveau. Lorsqu’il était ministre du Logement, Julien Denormandie a présenté un plan de mobilisation des logements vacants qui n’a pas été jusqu’à la réquisition.

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Pourquoi ne pas utiliser ce qui existe déjà ?

D’après Roselyne Conan, directrice générale de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL), il n’y a pas besoin de réinventer la roue :

Pour lutter contre la vacance, le fichier Lovac croise différentes informations foncières comme la taxe sur les logements vacants par exemple et d’autres données.

D’ailleurs, Emmanuel Grégoire est le premier à le reconnaitre :

Force est de reconnaître que l’outil de réquisition existe déjà, mais reste sous-exploité par l’État. Pourtant, cette pratique pourrait être un levier puissant entre les mains des mairies.

Utiliser les données concernant la consommation d’eau et d’électricité a pourtant un problème majeur : comment éviter l’erreur avec un outil qui n’analyse que la performance énergétique ? C’est l’argument que met en avant Roselyne Conan :

Est-ce que c’est vraiment un bon signal de considérer comme vacant un logement dont la consommation d’énergie a été divisée par trois grâce à la réalisation de travaux de rénovation énergétique comme l’isolation et la pose d’une pompe à chaleur par exemple ?

Des résidences secondaires plus taxées ?

Emmanuel Grégoire préconise également une taxation plus lourde des résidences secondaires dans les zones tendues :

Le droit de réquisitionner des collectivités devra être complété par une taxation efficace des résidences secondaires dans les zones tendues, rendant les villes plus équitables et accessibles.

Cette taxation plus élevée vise également à encourager une utilisation plus responsable des biens immobiliers et à libérer des logements pour ceux qui en ont le plus besoin. En effet, en rendant la détention de résidences secondaires plus coûteuse, le premier adjoint à la mairie de Paris espère dissuader les propriétaires de laisser ces logements inoccupés pendant de longues périodes :

Nous devons sortir d’une France à deux vitesses, où les plus riches peuvent être multipropriétaires et sous-utiliser leurs logements, là où ceux qui y vivent et y travaillent ne peuvent plus s’y loger.

Cette approche financière vise donc à adresser non seulement le problème immédiat de la crise du logement à Paris, mais aussi à créer des conditions favorables pour une ville plus inclusive et durable à long terme comme l’exprime Emmanuel Grégoire :

Compte tenu des impacts environnementaux, notamment en matière de libération du carbone contenu dans les sols, des politiques plus strictes doivent permettre d’encadrer les logements en périphérie des villes et, singulièrement, les résidences secondaires. Nous n’avons d’autre choix que d’exploiter l’existant et de continuer à optimiser et à construire dans les secteurs d’opportunités et de désir.

Une loi similaire existe déjà en Belgique

En Wallonie, depuis le 1er septembre 2022, les communes ont déjà accès aux données de consommation d’eau et d’électricité pour lutter contre les logements inoccupés, mais cela a nécessité un décret spécifique [source : wallonie.be]. Voici ce qu’il faut retenir de cette loi :

  • Un logement est présumé inoccupé si les consommations minimales sont de 15 mètres cube d’eau et de 100 kilowattheures d’électricité pendant 12 mois.
  • Les seuils de consommations minimales sont revus tous les 5 ans.
  • Les gestionnaires* et la commune sont responsables du traitement des données à caractère personnel (RGPD).
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* Réseaux de distribution d’électricité et les exploitants du service public de distribution d’eau publique.

Un moyen de mettre la pression ?

Bref, Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris, avance l’idée que les communes pourraient réquisitionner les logements vacants, qui représentent près de 9% du parc immobilier parisien. Il suggère également d’utiliser les données de consommation d’eau et d’électricité pour repérer ces logements inoccupés. Soyons réalistes, il y a peu de chance que cette proposition aboutisse, même si ce qu’il s’est passé en Wallonie peut être révélateur d’un besoin de trouver des solutions exceptionnelles. Personnellement, j’ai plus l’impression que cette lettre est surtout un moyen de mettre la pression sur les propriétaires de résidences secondaires dans les zones tendues en agitant l’épouvantail d’une réquisition et d’une nouvelle taxe en cas de vacance !

La vidéo sur ce sujet

Je vous invite à regarder cette vidéo :