À Lyon, un vieux conflit foncier refait surface. Un bâtiment centenaire situé rue Servient pourrait bientôt changer de mains sans transaction financière. Les juges devront déterminer si la mairie écologiste peut en devenir propriétaire sans indemniser les actuels détenteurs.
Un immeuble centenaire au cœur d’un conflit inédit
Aux origines du bâtiment de la rue Servient
Tout commence en 1910, lorsque la Ville de Lyon autorise la construction d’un petit immeuble d’un étage sur une parcelle municipale, à deux pas de la préfecture. Le locataire de l’époque devient automatiquement propriétaire du bâtiment, tandis que la mairie conserve la propriété du terrain. Cette situation singulière a perduré plus d’un siècle, dans un équilibre tacite entre les deux parties.
Les générations suivantes ont continué à percevoir les loyers du bâtiment, aujourd’hui occupé par Fiducial, tout en versant un modeste loyer annuel à la Ville pour la parcelle. Une relation apaisée, presque symbolique, jusqu’à ce que la politique municipale vienne bouleverser l’accord historique.
Un bail municipal à l’histoire complexe
Traditionnellement, le bail foncier était renouvelé tous les dix ans. Mais ce régime mixte, hérité d’une époque où les frontières entre public et privé étaient plus souples, a fini par attirer l’attention. Pour la municipalité, le montage bénéficiait surtout aux propriétaires privés. Pour ces derniers, il s’agissait simplement d’un droit transmis depuis plus d’un siècle.
Au fil du temps, les loyers versés à la Ville sont restés inchangés, tandis que les revenus du bâtiment augmentaient. Ce déséquilibre latent allait nourrir la décision radicale du nouvel exécutif écologiste, décidé à remettre à plat les “avantages injustifiés” du passé.
La rupture du bail et la stratégie de la mairie écologiste
Le refus de renouveler en 2020
À son arrivée en 2020, le maire Grégory Doucet décide de ne pas renouveler le bail foncier. Une première depuis plus d’un siècle. Officiellement, il s’agit d’une simple application du droit : le contrat arrivait à son terme, et rien n’obligeait la Ville à le prolonger. Mais pour les propriétaires, ce silence administratif s’apparente à une expropriation déguisée.
Les courriers envoyés à la mairie restent sans réponse. En 2021, le bail expire et, de fait, la Ville de Lyon récupère la parcelle… et l’immeuble bâti dessus. Un retournement brutal pour les héritiers, qui découvrent que leur bien risque d’être transféré gratuitement à la collectivité.
Une récupération controversée
La mairie défend une vision de justice patrimoniale : selon elle, les anciens baux ont trop longtemps favorisé des situations d’enrichissement privé sur domaine public. Pour l’exécutif écologiste, cette affaire illustre la nécessité de revoir la gestion des biens municipaux et de mieux valoriser le foncier public.
Mais cette approche politique suscite la colère des familles concernées. Elles dénoncent une “appropriation illégale” et estiment que la Ville profite d’un vide juridique pour s’emparer d’un immeuble qu’elle n’a jamais entretenu ni financé. Le dossier prend alors une tournure judiciaire inédite à Lyon.
Le tribunal tranchera sur la propriété du bien
Les demandes des propriétaires
Estimant avoir été lésés, les propriétaires ont porté l’affaire devant le tribunal correctionnel de Lyon. Leur objectif : obtenir une indemnisation de 1,365 million d’euros pour la perte du bâtiment. Selon eux, la rupture du bail ne saurait effacer un siècle de droit d’usage et d’investissement. Ils rappellent qu’ils ont toujours payé leur redevance foncière et respecté les conditions du contrat initial signé avec la Ville.
Leur avocat dénonce une manœuvre “arbitraire et opportuniste”, accusant la mairie de s’être servie d’une faille administrative pour récupérer gratuitement un immeuble parfaitement entretenu et productif.
Les positions de la municipalité
De son côté, la Ville de Lyon défend une lecture stricte du droit de propriété publique. Pour elle, les occupants actuels n’ont jamais été propriétaires légitimes du terrain ni du bâti. L’administration estime que le bail arrivant à échéance, le bien doit naturellement revenir à la collectivité. Une position assumée, inscrite dans une politique de réappropriation du patrimoine municipal.
Le jugement attendu dans les prochaines semaines pourrait créer un précédent : s’il donne raison à la mairie, d’autres cas similaires pourraient être rouverts. Dans le cas inverse, la Ville serait contrainte d’indemniser lourdement les anciens propriétaires.